Jean Pougny

Kuokkla, Finlande, 1892 - Paris, 1956

Jean Albert Pougny, dont le véritable nom était Ivan Puni, était d’origine italienne : son grand-père était le compositeur César Puni et son père violoniste. Attiré très tôt par l’art, il suivit pourtant, de 1900 à 1908, une formation au corps des cadets de Saint-Pétersbourg, bien qu’il n’eût aucun goût pour l’armée. En 1908-1909, il reçut une formation académique et, en 1910, séjourna pour la première fois à Paris, étudiant à l’Académie Julian et dans d’autres académies privées, où il fut marqué par le fauvisme et le cubisme. En 1912, il voyagea en Italie, puis retourna à Saint-Pétersbourg où il épousa Xenia Bogouslavskaya (qui lui survécut de nombreuses années, se rendant presque chaque jour déposer des fleurs sur sa tombe orthodoxe russe au cimetière du Montparnasse). En 1913-1914, il revint à Paris, puis retourna à Saint-Pétersbourg au déclenchement de la guerre en 1914, où il se lia d’amitié avec Maïakovski et Khlebnikov.

En 1915, il organisa deux expositions historiques à Saint-Pétersbourg : Première exposition de peintures futuristes Tramway V et Dernière exposition futuriste 0.10, où furent présentées pour la première fois des œuvres cubo-futuristes. Elles faisaient écho aux manifestations du groupe de la Valet de Carreau à Moscou. De ce terreau naquit le mouvement spécifiquement russe de l’avant-garde internationale : le constructivisme, qui prit forme dans le suprématisme de Malevitch et Tatline, dont Pougny signa le manifeste en 1916.

Mobilisé en 1917, il fut nommé professeur à l’Académie des beaux-arts de Petrograd après la Révolution d’Octobre. En 1918, il participa à la décoration des rues de Petrograd pour l’anniversaire de la Révolution : « Les rues seront nos pinceaux », déclara Maïakovski. Dans cette logique, Pougny rejoignit le mouvement du Réalisme Constructif, qui évolua vers le formalisme. En 1919, il enseigna à l’académie de Vitebsk, fondée par Chagall, mais quitta bientôt l’URSS pour la Finlande lorsque les avant-gardes furent stigmatisées. De 1920 à 1922, il vécut à Berlin, s’intégrant à la colonie d’artistes russes, en lien avec Hans Richter, Eggeling et Van Doesburg. En 1923, il créa décors et costumes pour une pièce polonaise à l’Opéra de Prague. En 1923-1924, il s’installa à Paris, où il demeura définitivement, fréquentant Fernand Léger, Amédée Ozenfant, Marcoussis et Severini. En 1940, il se réfugia à Antibes avec Robert Delaunay, puis revint à Paris en 1942. Naturalisé français en 1946, il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1947.

Dès 1913-1914, il évoluait vers le cubisme. À Tramway V (1915), il exposa une douzaine de toiles d’inspiration cubiste et un relief, Les Joueurs de cartes. À 0.10, il présenta une toile « alogique » (Le Coiffeur), qualifiée ainsi par Malevitch, ainsi qu’une planche monochrome verte et une nature morte constituée d’un marteau suspendu à un clou sur trois feuilles de couleurs différentes — autant de prémices du dadaïsme. En parallèle, il réalisa des compositions abstraites à l’encre. Ses œuvres de 1916 intégraient lettres et textes dans des plans géométriques colorés (BHK), ou encore un assiette fixée sur une planche. Après la Révolution, il créa des reliefs en carton et bois polychromes, combinant lettres, chiffres et objets du quotidien, affirmant la primauté de la couleur, contrairement à d’autres artistes révolutionnaires. S’éloignant du suprématisme, il revint à un cubo-futurisme teinté de réalisme formel (Le Musicien synthétique, 1921).

Installé à Paris en 1924, il utilisa des pigments purs pour explorer de subtiles harmonies chromatiques, évoluant vers des compositions post-cubistes aux accents surréalistes. Vers 1935, il peignit intérieurs, scènes de rue, arlequins, paysages et natures mortes, sur des formats modestes empreints de charme, parfois proches de Vuillard. Il préparait ses toiles en les foulant aux pieds pour créer des craquelures, évocation poétique du passage du temps.

Moins novateur après ses périodes suprématiste et constructiviste, Pougny resta un peintre admiré des peintres. S’éloignant de la quête moderniste, il sut préserver et célébrer, selon ses propres mots, « l’essentiel : le plaisir de peindre ».

Source : Bénézit

Œuvres de Jean Pougny